[Prélude] Luka Kempshall

Alors que je repartais, je stoppe, me retourne.

- il ne me reste qu'a l'habiller , dans la salle de préparation des corps de droite.

Mon regard se fait curieux, interrogatif . Je fronce les sourcils et tend la main, l'invitant a avancer jusqu'à la salle.

Si je peux en apprendre plus sur ce « don » qui vient de m’échoir, je ne vais pas reculer.

Je ne m’inquiète même pas de ce que cet homme mystérieux pourrait découvrir dans la salle, sur les traces laissées sur Charlie, sur mes activités avec lui. Au pire, je passe pour une grande malade, nécrophile, je me fais virer. De toutes façons Seth m'a prévenue que je risquais de passer pour une folle.

Seth... un petit sourire... intéressant ce nom qu'il s'est choisi. je me demande si sa personnalité reprend tous les aspects du dieux Égyptien.

J’ai la tête trop pleine des événements, des sensations nouvelles. Et puis je n’ai pas envie de réfléchir, si je me fais virer . Ce que je veux là tout de suite, c’est comprendre, apprendre. Comme ces nuits où je m’oublies chez moi à lire et tracer les calligrammes chinois. Oui, je veux savoir

« Voilà donc le sujet » fit Seth, en regardant et palpant le cadavre sans prendre de gants. « Oui. Il est plutôt joli garçon pour son âge. Jeune et sportif si j’en crois les témoignages de ses amis et de ses parents. Il est pourtant mort d’une crise cardiaque malgré sa relative jeunesse. Pour un dormeur, c’est une mort tragique. Pour un éveillé, c’est un problème à résoudre. »

Il se tourne vers toi :
« Il ne faudra pas avoir peur de ce que vous allez voir. Je vais vous montrer ce que ce pauvre Charlie a vu avant de mourir à travers une matière éphémère. L’ectoplasme. Vous devrez pouvoir faire de même ensuite. Ce n’est pas compliqué, il faut juste se concentrer et penser fortement. Oh, vous pouvez user de gris-gris ou de formules magiques si vous avez besoin de cela pour la concentration. Le folklore est parfois utile »

Seth se masse alors les tempes lentement, il murmure quelques mots que tu n’arrives pas à distinguer. Une odeur de papier brûlé commence à se faire sentir dans la pièce. Tu le regardes avec une certaine appréhension, comme si le corps de ton patron avait quelque chose d’étrange, d’insolite. La couleur semble l’avoir quitté. L’odeur de papier brûlé continue à augmenter , mais c’est autre chose qui attire ton regard. Les paupières fermés de Charlie s’ouvre d’un coup, laissant passer un liquide un peu saumâtre qui s’étale sur tout son visage.  Seth fait alors quelques mouvements de sa main, comme si il ordonnait à ce liquide, cet ectoplasme, de prendre une forme comparable à celle d’une feuille qu’il tient ensuite au dessus du visage du cadavre.

« Voyons maintenant sa vision finale ».

En regardant cette feuille éphémère, tu y vois une femme brune au regard fauve apparaitre devant l’ectoplasme. Elle semble toucher plusieurs fois Charlie qui réagit en tremblant violemment de la tête, comme si il subissait une convulsion. Au bout de la troisième convulsion, Charlie semble s’effondrer sur le sol, la femme brune le regarde de haut et esquisse un sourire sadique. Plus rien ensuite.

« Voilà une mort bien originale. Et votre silence devant une telle scène surnaturelle l'est tout autant. J'avais peur que vous hurliez de terreur en vous enfuyant de la pièce. » dit alors Seth en secouant la feuille d’ectoplasme qui disparait peu à peu devant tes yeux. « Du moins, votre silence peut cacher plusieurs significations. Soit vous êtes muette de stupeur ou soit vous êtes déjà en train de vous demander ce que faisait cette femme devant ce pauvre homme ».

Il pose une de ses mains sur le visage de Charlie pour fermer ses paupières : « Il aura une bien meilleure mort que cette vie là. Et puis, l'au-delà, ce n’est pas aussi terrible que cela… Je pense peut être même pouvoir le retrouver… » Seth se met à réfléchir, oubliant complètement ta présence.

- Le retrouver ?

Sans ménagement, j’accroche la manche de Mr Sethany pour le retourner face à moi ou me retrouver face a lui, l’air implorant.

- Que voulez vous dire ?  Comment ?

De toutes les choses vues ou entendues aujourd’hui, pour l’instant c’est celle qui me parait la plus importante.
J’imagine combien la scène peut  paraitre comique : un moineau menaçant un aigle.  Mes cinquante kilos cramponnés à cet homme qui en impose juste par son allure, plus suppliante que menaçante.

Bêtement je m'excuse auprès du corps à côté de nous, comme si j'interrompais une conversation.

- Désolée Charlie.  Mr Sethany, je ne sais pas ce que faisait exactement cette femme, je sais jute que Charlie en est mort, et que je  me souviendrai de son visage. Mais je sais aussi ce que vous avez dit : « Et puis, l'au-delà, ce n’est pas aussi terrible que cela… Je pense peut être même pouvoir le retrouver ».  Comment ?  Peut-on retrouver tout le monde ?

Je tire  la couette par-dessus ma tête en grognant, je n’ai aucune envie de me lever mais je sais qu’Eve restera plantée là,  à me parler tant que je n’aurai pas  bougé alors  je me lève, tire sur le tee shirt informe que j’ai mis pour la nuit, et me dirige vers la salle de bains.

- Gauche comment grand mère ? Il a dit  où il voulait  m’emmener ?  

Je baille a me décrocher la machoire

- Au fait, tu parts quand en vacances au fait ? je t’admire tu sais de partir de faire les routes comme tu as fait il ya … quelques années.

Je me retiens juste à temps de lui rappeler que ses 20 ans ne dataient pas tout a fait d’hier, ma grand-mère s’étant arrêtée de vieillir dans les années soixante dix, selon ses propres dires

- Fais le patienter 15 mn j’arrive Eve

Je  l’embrasse doucement sur la joue et me glisse sous l’eau froide. J‘ai besoin d’être bien réveillée pour voir Mr Sethany.

La douche est rapide, j’évite de mouiller mes cheveux.  Je sors bientôt,  me sèche energiquement en tendant l’oreille pour essayer une éventuelle conversation de ma grand-mère et je me retrouve plantée  devant mon armoire à me demander ce que je vais mettre.  

J’ai beau avoir une furieuse envie de jouer la provocation pour le plaisir de le contrarier, j’opte finalement pour un robe noire classique,  des escarpins confortables, un trait de Kohl, un coup de brosse  et de parfum, une de mes rares coquetterie, et je m’apprête a la confrontation.

Un instant l’idée de dire au chauffeur « je vous suis en moto » me traverse l’esprit et me fait sourire mais je n’ai franchement pas choisi la tenue idéale.

Je pousse donc la porte m’apprêtant à rencontrer le pingouin empoté dont parlait Eve.

- Me voici

« Voici ma petite fille » dit Eve à l’adresse du chauffeur qui termine de boire une tasse de café offerte par ta grand-mère. Celui-ci est un peu maigrichon, et très maladroit quand il te voit arriver, manquant de peu de renverser la tasse de café sur lui.


« Monsieur Sethany vous attends dans sa voiture, elle est garée devant chez vous. Je vous accompagne. C’est l’affaire de 10 minutes » te dit'il rapidement en terminant sa tasse.

En effet, en sortant de la maison, tu aperçois une grosse voiture noire garée juste devant ta boite aux lettres.


Le chauffeur se dépêche d’ouvrir une des portières arrière, laissant entrevoir ton patron installé et le visage toujours aussi inerte. En t’installant sur la banquette arrière, il reste silencieux jusqu’à ce que la portière soit refermé derrière toi.

« Bonjour ». dit t’il, « Avez-vous bien dormi ? Désirez-vous quelque chose à boire ? Scotch ? Ou peut être simplement du café ?  »

Je fais mine de ne pas voir la maladresse du chauffeur, et le suis, prête a affronter mon patron.

- Bonjour Mr Sethany. Un café suffira, il sera même bienvenu. Noir, sans sucre,, s'il vous plait.

Je retiens toute remarque sur le superbe véhicule électrique,un peu mal à l'aise dans cet espace clos, appréhendant la confrontation a venir.

« En effet, vous n’y connaissez foutre rien. » laissa échapper ton patron, le ton un peu aigre, puis se reprenant de suite : « Pardon. Je suis un peu à cran. Votre éveil date d’hier, c’est normal d’être ignorante de ces choses là. Cela étant, il y a certaines choses que vous avez oublié de me notifier hier et dont j’ai appris plus tard l’existence. Cette femme qui vous menaçait avec une arme, c’était donc une mage ? »

Je suis plus à fleur que je pensais et ne retiens une repartie  que parce qu’il poursuit. Je pose la tasse, presque vide, sur sa soucoupe, de nouveau sur la défensive.

- Je crains en effet qu’ hier nous soyons partis sur de mauvaises bases, Mr Sethany et non, nous n’avons pas vraiment eu l’occasion de discuter de ce qu’il s’est passé.  Mais bon, nous sommes là ce matin pour le faire. Donc, en ce qui concerne l’après midi, si cette... le... la... je ne sais comment l’appeler encore, l’espèce de brume qui m’entoure parfois ou qui entourait cette femme est un signe de  notre état : oui, elle était mage.    Je ne sais pas ce vous savez déjà, alors je vais reprendre depuis le début.


Un bref sourire à mon patron. Je m’appuie contre le siège et regarde devant moi , dans le vide, pour essayer de remonter le fil de ce qu’il s’est passé la veille..

- Il m’a semblé reconnaître à son arrivée, la femme que vous m’aviez montrée dans la dernière vision de Charlie alors j’ai. .. humm..   je reconnais, j’ai regardé par la serrure de  la porte de la chapelle ardente.  Il y avait cette sorte d’aura noire  autour des jambes de cette Cordélia, et… comment dire…  l’ombre s’étirait en une sorte de... cordon ombilical… non !  Non ! C’était négatif plutôt .. plutôt... oui c’est çà : une laisse, une entrave, jusqu'à chacun des membres de la famille,  sauf Andrew et  la tante aussi je crois me souvenir.  

Un bref regard à Mon patron à ma gauche et je reprends.

- Le garçon et la femme avaient laissé échapper qu’ils se détestaient.  Bref  j’ai vu une de ces laisses venir autour du cou du garçon quand… quand Anton m’a surprise ainsi. Juste après nous avons entendu appeler à l’aide. Je suis entrée pour voir et pratiquer les premiers gestes sur le frére au sol pendant qu’Anton appelait les secours.

Une mèche noire glisse jusqu'à effleurer la tasse, je repousse donc mes cheveux  et les ramène sur mon épaule droite. Un geste habituel qui dévoile cependant un de mes tatouages.

- Tout le reste, est arrivé si vite, je n’ai agi qu’instinctivement, Mr Sethany. D’abord j’ai  eu l’intuition que si elle le touchait encore elle le tuerait.  J’ai… j’ai voulu faire sortir tout le monde. Ils sont restés là figés. Puis ensuite quand la femme, Cordelia a sorti son arme. Elle s’est mise à rire, ma appelée mage puis, Anton est arrivé, elle a dit qu'elle aller le tuer aussi.  J’ai juste voulu le protéger, lui et nous tous, j’ai essayé de la faire tomber  je me souviens.  Après, Anton a lancé quelque chose,  la trousse d’urgence je crois.

J’ai du mal a me souvenir précisément de ce qu’il s’est pasé exactement après. J’ai beau chercher dans ma mémoire… rien je regarde donc mon patron en secouant un peu la tête.


-  Après… mmhh… Après je... je me suis focalisée sur son arme, en me disant que ce serait si simple si elle n’en avait pas  et...  Après tout est confus, jusqu'à l’arrivée des secours.

Je fais reposer soucoupe et tasse doucement sur ma jambe, lève l'autre main, la repose, pour signifier la fin de l’histoire, et fixe mon voisin .

- Voilà Mr Sethany,  voilà ce que je n’ai pas dit hier, mais avez-vous des nouvelles du garçon ?  

Je saisis le papier avant  de regarder la portière se fermer sur énigmatique Mr Sethany.. Un salut  machinal et bien peu protocolaire des doigts au chauffeur tandis que mon autre main serre fort le papier.

- hop ! La journée va être chargée !    

Je glisse le papier dans mon soutien gorge, où je suis sure de ne pas l'egarer. Je le regarderai tout a l'heure a l'abri de ma chambre.    Pour l'heure je vais tout faire pour hâter le voyage de ma grand mère,  au besoin si le roadtrip d'Eve tarde trop je la convainc qu'elle doit passer du temps avec son fils avant et je pioche dans mes maigres économies pour lui payer son billet....  Appeler aussi Palm Mortuary voir si on a besoin de moi aujourd'hui et  récupérer le nom de famille et des infos pour tenter d'avoir des des nouvelles d'Andrew.

A propos de nom de famille,  je dois songer aussi à ma nouvelle identité; Un évidence s'est imposée tout a  l'heure a moi : Luka.  Luka comme mon Ami d'enfance. je lève les yeux vers le ciel sans nuage.  

- Ca te dis Luka de vivre avec moi?  qu'on ne fasse qu'un ?  A plus de t'avoir dans la peau... je vais être toi  et toi moi !

Je caresse le tatouage de mon bras en souriant.  je reconnais ça risque de faire narcissique d'avoir "mon" prénom tatoué sur le bras mais en même temps : rien a faire !
le plus dur va être de trouver une excuse plausible pour justifier mon changement d'identité auprès de mes connaissances...  Je commence a rentrer a la maison, rangeant le container de la poubelle qui traine un peu en vrac sur le trottoir, comme souvent et  jette un oeil aux deux côtés de la rue.


- Calme ma grande ! Seth t'a mis en garde mais ne deviens pas parano non plus !

A la maison, Eve m'attends avec un café et le regard curieux et train de s'imaginer des choses sans doute.

- Non Eve, ce n'etait pas le prince charmant venu m'enlever  sur sa belle voiture noire.   Juste des infos a me donner avant  qu'il parte je ne sais où !


Je prends la tasse et file dans ma chambre en lui collant un baiser sur le front. J'ai hâte de découvrir l'adresse.  Je  ferme la porte, la tasse sut le coin d'une étagère encombrée de bouquins et, le dos collé a la porte je déplie le précieux petit papier

Extrait du journal  intime du jour :

La journée a encore été riche en événements aujourd’hui.

Me voilà seule dans la maison. J’ai déposé Eve à l’aéroport. Elle est partie quelques temps chez mes parents.

Apres les informations, j’ai pris sur moi  de lui expliquer ce qu’il s’était  passé à la morgue, a l’exception de quelques « détails ». Je suis intimement convaincue qu’après son expérience passée, elle serait une des personnes aptes a me comprendre et  je me demande même si elle ne sait pas avec  son côté un peu  sorcière  baba cool.  On a toujours eu l’impression qu’elle voyait des choses en nous.  Grand-mère n’a pas fait trop d’histoires. Je crois même  que ça l’a amusée.  Elle m’a dit, sur le ton de la confidence,  qu’un de ses vieux amis faisait des faux papiers  autrefois et lui devait un service. C’était peut être une façon de se moquer de moi mais  je garde en mémoire.

En revenant je suis passée au  PM. Un brin parano, j’ai regardé quels véhicules étaient dans le coin. Il y avait la standardiste et Anton. Nous avons papoté un peu et,  sur une impulsion je leur ai dit que je faisais jusqu'à hier partie d’un programme de protection des témoins, que mon vrai nom était Luka Kempshall et du coup, il a été aisé d’insister sur le fait de ne pas parler de moi, de ne pas communiquer mes coordonnées et d’oublier Zi Xia, qui n’existait plus. Ils se sentent investis d’un grand secret et, je pense que ma nouvelle identité va leur paraître bien plus intéressante.  J’ai eu les coordonnées de l’hôpital ou a été transporté Andrew.

Je regarde l’adresse du bar et sourit

- Seth, Cassandre… Des  noms pour le moins… illustres!  

Changement de tenue, la petite robe regagne son cintre et  c’est en  jeans, bottes,   brassière  et blouson de cuir que je quitte la maison, le casque à la main.   Je trouve plus pratique  de me déplacer avec ma moto lorsque je n’ai pas besoin de trimballer du matériel.  Je connais le bar, c’est à peine cinq minutes du Skincity, je passe devant régulièrement.

Je fais un premier arrêt au  Skincity saluer tout le monde, savoir quand il y a un contrat pour moi,  et je leur sers le même baratin de  programme de protection des témoins, de changement d’identité. Là aussi ca à l’air de passer.   Je peaufinerai, pour l’instant il s’agit de parer au plus pressé.    Enfin pressé, c’est relatif, le temps de discuter,   il est trop tard pour appeler  l’hôpital.

Je reprends ma  750 GSX-R direction le  Bunkhouse Saloon.  Je me gare sur le côté, quitte mon casque,  baisse  la tête pour secouer  ma tignasse et, nerveuse et   je grimpe  les  quatre marches qui précèdent la porte.  Quelques types sont là à siroter leur bière dehors.  Un coup d’œil rapide en entrant. Il y a peu de monde encore, et je me dirige vers le bar et dézippant le blouson.    Je me perche sur un des tabourets du bar et  tandis que le serveur derrière se dirige vers moi je lui fais un sourire en lui montrant mon casque.   Oh pas le genre de sourire femme fatale, ce n’est pas mon genre. Juste un sourire.

- Une  Sierra Nevada et … je peux laisser ça par là ?

Je bois doucement ma bière en regardant le groupe qui s’installe et fait ses balances micros, me demandant si Cassandre est là. Au bout d’un moment, le barman  vient  poser ses coudes  sur le bar, juste a côté de moi et se plonge aussi dans la contemplation  du groupe.

- Je suis supposée venir voir Cassandre…  et... je  n’ai pas la moindre idée de qui est Cassandre !  

Je le fixe interrogative.